Quel regard porter sur l’etat de droit tant vante en RDC?(tribune Prof Joseph Yav)
Il n’est pas étonnant que l’expression “ETAT DE DROIT”, se soit imposée en ces derniers jours bien au-delà du cercle des juristes pour devenir une préoccupation majeure des faiseurs d’opinion.
La presse s’en est emparée et quel programme politique ne contient pas l’engagement de renforcer l’État de droit ? La valeur de l’expression est même cautionnée par les plus hautes autorités de l’État. BERNADIN LUISIN n’a pas tort d’affirmer dans son opus « Le mythe de l’État de droit », in, Civitas Europa, 2016/2 (N° 37), p. 155-182 que jamais, semble-t-il, un objectif n’aura été à ce point partagé.
Constamment invoqué, l’État de droit est cependant rarement défini de sorte qu’il ne parvient à faire l’unanimité qu’en reposant sur des apparences ou des confusions de sens quand la notion n’est pas tout simplement utilisée comme un label pour asseoir une opinion.
Avec J. CHEVALLIER, sa signification est pourtant connue. Elle recouvre trois dimensions très différentes qui font prévaloir tantôt un système de normes hiérarchisées, tantôt la limitation du pouvoir de l’État ou bien encore le contenu du Droit. [J. CHEVALLIER, « L’État de droit », RDP, 1988, p. 313.]
- Judiciarisation de la vie socio-politique et dissimulation de l’État de Droit
Le ciel congolais s’assombrit et de plus en plus l’on constate des poursuites annoncées à grand fracas, procès soigneusement médiatisés, exception d’inconstitutionnalité des lois présentée comme une exigence impérieuse répondant à l’attente de la société, (…) l’État de droit se nourrit d’apparences et semble oublier la justice tout court, celle qui intéresse le citoyen quotidiennement confronté aux dysfonctionnements de l’ordre juridique.
Le thème de l’État de droit joue un rôle dissimulateur. Il entretient l’illusion du règne du Droit par la création d’institutions, les nominations alambiquées, l’annonce de réformes, et tout autre oripeau et apparat de droits, sans réellement se soucier de leur efficacité et de leur légitimité. Conformément aux théories qui l’inspirent, il répond par la production de normes à tout problème de société, aggravant bien souvent les maux qu’il est censé dissiper.
C’est ainsi que l’opacité est constamment renforcée par la multiplication de procédures sophistiquées élaborées au nom de la transparence. D’autres intentions se traduisent par ces juxtapositions de pourcentages, ces échafaudages de fractions et ces combinaisons des stratagèmes qui sont devenus l’essentiel des dispositions institutionnelles, que l’on modifie souvent et d’autant plus allègrement qu’ils sont intrinsèquement arbitraires.
Bref, invocation devenue rituelle, l’État de droit conjure les périls en détournant le regard de la réalité. Le Conseil d’État, en est une pure illustration avec l’affaiblissement de la fonction stabilisatrice de la jurisprudence. En comblant les lacunes des textes, en interprétant la règle de droit et en l’adaptant aux situations concrètes, la jurisprudence, malgré ses épisodiques revirements, a toujours joué un rôle de premier plan en faveur de la sécurité juridique . Hélas, cette fonction est aujourd’hui fortement compromise. Que Dieu nous en garde des pires.
Professeur Joseph YAV KATSHUNG