Le chef de l’État s’est livré à une véritable instrumentalisation de la notion de l’Union sacrée en l’utilisant comme bouée de sauvetage (tribune professeur Joseph YAV KATSHUNG)
L’UNION SACREE, BOUEE DE SAUVETAGE POUR LA NATION OU STRATAGEME D’INSTRUMENTALISATION POLITIQUE ?
DECRYPTAGE DU DISCOURS DU PRESIDENT TSHISEKEDI
Prof. Joseph YAV KATSHUNG
- LIMINAIRES
Comme il l’avait annoncé le 23 octobre dernier, voilà qu’il a dévoilé les résultats des consultations initiées par lui en martelant la fin de la coalition FCC-CACH, nomination d’un Informateur pour dégager la « nouvelle » majorité [sic] et une probable dissolution de l’Assemblée, s’il èchet.
Sans entrer dans les thématiques ci-haut énumérées auxquelles nous réserverons une étude scientifique dans les brefs délais, le présent post entend analyser les raisons profondes de cette stratégie de consultations – Union Sacrée – qui préjugeaient déjà du fond aux yeux des analystes et stratèges avertis.
- DU CONTEXTE
Il est constant que dans l’histoire politique de la RDC, notre pays, chaque époque draine son cortège de contestations, de revendications, d’interrogations auxquelles il appartient au Président de la République d’apporter des réponses adaptées. Mais, pour y bien répondre et se constituer effectivement le garant d’une cohésion toujours en mouvement, le Président de la République doit garder présent à l’esprit qu’il est lui-même le produit d’une société, avant de songer même à interagir sur elle.
Cette action est aussi beaucoup fonction de l’étendue de ses pouvoirs et du contexte politique dans lequel s’insère son action. Avec ce discours mais également par certains actes posés précédemment [ non tenue des Conseils des Ministres, Nomination et prestation des serments des juges de la Cour Constitutionnelle, etc…], le Président ne s’est donc pas privé de s’opposer frontalement au Gouvernement.
Ainsi, dans le but de préserver le « pré-carré » présidentiel, et pour justifier son imperium face à un Gouvernement jugé hostile, le chef de l’État, en période de coalition désormais dénoncée, s’est livré à une véritable instrumentalisation de la notion de l’Union Sacrée qu’il définit comme une « nouvelle » conception de la gouvernance basée sur les résultats dans l’intérêt supérieur de la Nation.
- DE LA COALITION A L’UNION SACREE DE LA NATION, CHANGEMENT DE CAP OU INSTRUMENTALISATION STRATEGIQUE ?
A la lecture des évènements, le Président de la République a cherché à reconquérir du terrain, d’abord parce qu’il entend justifier par là son maintien au pouvoir et son imperium. De ce fait et de notion accessoire, l’Union Sacrée de la Nation était devenue un stratagème du pouvoir durant la période de coalition pour s’en affranchir après avoir cherché à légitimer des interventions qui pourraient apparaître intempestives auprès du Gouvernement de coalition.
Bref, en se référant à la notion de l’Union Sacrée de la Nation comme bouée de sauvetage, qu’il utilise à la manière d’un va-tout : il sait qu’il n’a plus grand chose à perdre et qu’à ce jeu-là il ne peut que gagner. Il cherche en définitive à incarner un contre-pouvoir à l’action du Gouvernement.
Comme il envisage de briguer un nouveau mandat en 2023, il est alors de son intérêt de montrer qu’il ne capitule pas et que, il reste placé au-dessus des contingences politiques et pour cela notamment il instrumentalise la notion de cohésion sociale tout en ne respectant pas la volonté qui s’est exprimée dans les urnes lors des dernières élections législatives.
Enfin, cette instrumentalisation de la notion de l’Union Sacrée de la Nation se traduit de façon concrète lorsqu’il menace dans son adresse qu’il dispose également de la faculté d’user du veto présidentiel. C’est en ces termes qu’il affirme, je cite :“…Ainsi pour rendre effectives et concrétiser les réformes envisagées, la majorité parlementaire actuelle s’étant effritée, une nouvelle majorité́ est nécessaire. En conséquence, j’ai décidé́ de nommer un INFORMATEUR, conformément aux dispositions de l’article 78, alinéa 2, de la Constitution. Il sera chargé d’identifier une nouvelle coalition réunissant la majorité absolue des membres au sein de l’Assemblée Nationale…”
Que dire de tout ça, quand ledit veto présidentiel semble planer sur des arguments non constitutionnels car la dissolution de l’Assemblée est faite – sous conditions- en cas de crise persistante entre le Gouvernement et le Parlement et non entre le Gouvernement et le Président encore moins entre le Président et le Parlement. En évoquant les cas des nominations et de prestation de serment des juges de la Cour Constitutionnelle comme un cas faisant persister une crise entre le Gouvernement et le Parlement, c’est simplement décousu et hors contexte. Quel est l’acte et/ou fait du Gouvernement qui est entré en conflit avec le Parlement ? Le Président peut-il s’associer au Gouvernement ou s’en faire passer ? Neni.
Bien plus, une majorité peut-elle s’effriter en plein mandat sans qu’il y aient des élections ? Par quels mécanismes loyal et légal exceptés le débauchage ou le racolage et autres pratiques malsaines – du reste décriées par le Garant – à l’instar de la corruption et autres pratiques du genre, un Informateur légal ou de fait peut-il manœuvrer ? Ce dernier peut-il être nommé en plein mandat pendant qu’un Premier Ministre issu de la majorité, chef du Gouvernement est encore en fonction ? Autant d’interrogations qui ne rassurent pas mais qui nécessitent des réponses idoines.
- QUE CONCLURE ?
Sauf constater qu’à travers son adresse, le Président a cherché d’une part, à se désolidariser ostensiblement du Gouvernement issu de la Coalition et son discours lui a permis de s’affirmer politiquement, de montrer que, mis en échec, il n’en continue pas moins de défendre les valeurs en lesquelles il croit. D’autre part, c’est aussi une manière pour lui de déclarer qu’il n’a pas abdiqué et quelle que soit la situation, il conserve un esprit critique et il met tout le monde en garde.
Or, on peut se demander si, par une telle attitude, le Président de la République n’enfreint pas précisément le rôle de garant des institutions qu’il prétend vouloir assumer. En effet, par le simple fait de chercher à se fabriquer une ‘nouvelle’ majorité, le chef de l’État qui ne l’a pas présentement, devient paradoxalement, comme nous l’avons dit, facteur de division des institutions.
Au-delà, en formulant des appréciations critiques, parfois cinglantes, au sujet des actions du Gouvernement et/ou du Parlement, le chef de l’État devient – comme aime à le dire DAVID, FRANCK – au surplus un élément perturbateur de l’exécutif, un « cheval de Troie » logé dans le fort de la République.[1] De même qu’il peut être facteur de cohésion, le Président de la République peut donc être un facteur tout aussi puissant de division et d’instabilité politiques.
Le rôle de garant des institutions qu’assume le Président de la République est variable dans son intensité. Divers facteurs sont à considérer : les circonstances historiques, le mode de désignation, la personnalité du chef de l’État, la convergence ou la divergence des majorités.
De fait, le Président de la République doit veiller à ne rien entreprendre qui puisse nuire à son attribut de garant qui caractérise sa fonction. Il n’empêche que le chef de l’État doit veiller, dans l’exercice de son rôle de garant, à respecter les autres institutions nationales, Gouvernement et Parlement en premier, lesquels ont également un rôle à jouer en matière de maintien et de promotion de la cohésion nationale. Car il est sans conteste que dit autrement, être garant de des institutions signifie pour le chef de l’État de commencer par veiller à la cohérence de son propre rôle au sein des institutions nationales. En est-il le cas aujourd’hui avec le « FCC-EXIT » ? Wait and See !
[1] David, Franck. « Le Président garant de la cohésion sociale », Revue française de droit constitutionnel, vol. 59, no. 3, 2004, pp. 533-566.