Affaire Cour Constitutionnelle : Felix Tshisekedi le monde vous regarde. Violer les lois du pays que vous dirigez vous diminue. L’Etat de droit doit rester droit.
[ Tribune de Barnabe Kinkaya ]
L’imminence de l’investiture des nouveaux juges nommés à la Haute Cour le 17 juillet 2020 ranime le débat avec une telle frénésie que toutes les craintes se justifient à propos des chances de consolidation de la première alternance démocratique enregistrée en RDC depuis l’indépendance.
La sentence serait terrible s’il arrivait à l’UDPS – parti ayant fait du respect de l’État de droit le fondement de sa lutte politique – de porter la responsabilité du ratage de cette alternance.
L’État de droit, c’est le respect de la loi telle qu’elle se présente. Mais, c’est aussi la capacité de la changer dans les règles de l’art. Quand nécessité il y a…
Tel est le cas de l’article 10 de la Loi organique n° 13/026 du 15 octobre 2013 portant organisation et fonctionnement de la Cour Constitutionnelle. Son libellé reconnaît au seul Chef de l’État la prérogative de prendre acte de la prestation de serment des juges.
Mais, la loi prévoit la présence des 3 Institutions de la République et d’un bureau. Il s’agit, cités par ordre :
- du Président de la République,
- de l’Assemblée nationale (engagée par son bureau),
- du Sénat (engagé par son bureau) et
- du Bureau du Conseil supérieur de la magistrature.
Le libellé de cet article est : ” Avant d’entrer en fonction, les membres de la Cour sont présentés à la Nation, devant le Président de la République, l’Assemblée Nationale, le Sénat ET le Conseil Supérieur de la Magistrature représenté par son Bureau. Ils prêtent devant le Président de la République le serment suivant : ‘ Moi, …, Je jure solennellement de remplir loyalement et fidèlement les fonctions de membre de la Cour Constitutionnelle de la République Démocratique du Congo, de les exercer en toute impartialité, dans le respect de la Constitution, de garder le secret des délibérations et des votes, de ne prendre aucune position publique, de ne donner aucune consultation à titre privé sur les questions relevant de la compétence de la Cour Constitutionnelle et de n’entreprendre aucune activité mettant en cause l’indépendance, l’impartialité et la dignité de la Cour ‘. Le Président de la République leur en donne acte “.
La lecture élémentaire ne dit pas ” Président de la République, Assemblée nationale, Sénat OU Bureau du Conseil Supérieur de la Magistrature (CSM), mais ET…
Pour être donc valable, la cérémonie de prestation du serment requiert la présence et la participation aux côtés du Président de la République des deux chambres du Parlement et du Bureau du CSM.
Il n’y a pas matière à débat.
SE PASSER DES CHAMBRES BASSE ET HAUTE
Entendre un constitutionnaliste estimer qu’on peut se passer de la présence des Bureaux de l’Assemblée Nationale et du Sénat tant il est vrai, à l’en croire, qu’il suffit au Protocole d’État d’envoyer individuellement des invitations aux députés nationaux et aux sénateurs pour que les parlementaires présents valident la cérémonie d’investiture, voilà une belle manière de mettre en doute leur volonté d’honorer le Chef de l’État sur le choix porté sur eux.
En effet, l’Assemblée Nationale et le Sénat sont des institutions qui fonctionnent sur base de leurs règlements intérieurs respectifs approuvés par la Cour Constitutionnelle.
En ne prenant que celui de l’Assemblée Nationale – d’ailleurs similaire à celui du Sénat- l’alinéa 1 de l’article 27 dispose : ” Le Bureau assure la direction et le fonctionnement de l’Assemblée nationale“.
Il est impensable pour une Insitution respectable qu’est le Président de la République de considérer qu’elle peut se passer du Bureau de la Chambre Basse et/ou du Bureau de la Chambre Haute pour une cérémonie de si haute portée solennelle qu’est l’investiture des juges de la Haute Cour.
LE DEVOIR D’INGRATITUDE EXISTE AUSSI
Par voie de conséquence, Felix Tshisekedi aujourd’hui est devant le fait accompli puisque le monde entier le regarde : ou il respecte, ou il ne respecte pas les lois du pays. De son pays.
Je voudrais être précis à ce sujet : je juge calamiteux pour le Congo un impeachment qui mettrait en accusation le Président de la République.
D’ailleurs, personnellement, je ne le trouve nullement productif pour le pays. Que ce soit pour les proches de Joseph Kabila que pour ceux de Jean-Pierre Bemba ou de Moïse Katumbi, et pourquoi pas ? ceux du CACH.
Sans être dans les secrets de Dieu, je doute aussi que Joseph Kabila, dont je connais le sens de l’État et qui se fait le défenseur principal de la coalition, soit dans ce schema de destitution du Président de la République.
La passation civilisée des pouvoirs d’Etat, c’est son œuvre, sa marque déposée. Il y tient.
Ce n’est alors pas une garantie de redevabilité pour le Président de la République de se croire non passible des poursuites judiciaires au motif de nomination des juges tenus au devoir de gratitude à son égard. Le devoir d’ingratitude existe aussi !
Félix Tshisekedi doit en définitive le retenir pour la postérité : il est le PREMIER chef d’État de l’Alternance issue des urnes. Ce qui n’a été le cas ni de Kasa-Vubu, ni de Mobutu, ni de Laurent-Désiré Kabila, moins encore de Joseph Kabila.
La postérité va devoir retenir de Joseph Kabila qu’il est le premier des chefs d’Etat congolais depuis 1960 à effectuer une passation civilisée du pouvoir avec son prédécesseur issu de l’Opposition.
Elle va en plus retenir que Félix Tshisekedi est le premier des chefs d’État congolais depuis 1960 à battre le dauphin du Président de la République sortant.
C’est un acquis dont tout Congolais se doit d’être fier.
L’ETAT DE DROIT DOIT RESTER DROIT
Reste maintenant à chercher à savoir si ses conseillers parmi les plus zélés, et dont le parcours n’est pas traçable dans la lutte de l’UDPS, sont sincères et honnêtes dans les avis qu’ils lui donnent par rapport à la cérémonie d’investiture.
Le Congo a trop souffert de procès d’intention qu’on lui a prêtés. Joseph Kabila en a souffert sérieusement avec tous les soupçons de vouloir briguer un troisième mandat. Il n’en a pas moins gardé le sens d’Etat.
Tout ce qui peut être demandé à FélixTshisekedi, c’est de garder ce sens puisqu’il l’a déjà. Et ne pas se laisser amener à la radicalisation, surtout quand les bons conseillers ne sont toujours pas les bons payeurs.
Dans la foulée, c’est la première fois dans l’histoire de ce pays qu’on voit des membres du cabinet d’un Président de la République passer leur temps à se mêler du débat politique normal entre citoyens, allant jusqu’à s’attaquer aux animateurs des institutions sans lesquelles le Chef de l’État ne saura même pas exercer ses prérogatives. Peut-être que la twitosphère se substitue à une carrière.
Autrement, il devrait se demander, comme nous aussi, ce qu’il adviendrait du contentieux électoral, si une partie venait à disqualifier la Cour constitutionnelle pour investiture non conforme à la loi !
Les juristes du cabinet et les juges de la Haute Cour qui conseillent le Président de la République devraient y réfléchir sérieusement au nom de l”Etat de droit qui reste droit.
[ Barnabé Kinkaya ancien conseiller diplomatique de Joseph Kabila ]