Dans un texte poétique Augustin Matata Ponyo fustige la restriction de ses libertés fondamentales.
𝗖𝗲 𝗾𝘂𝗲 𝗷𝗲 𝗽𝗲𝗻𝘀𝗲 : 𝗦𝘂𝗶𝘀-𝗷𝗲 𝗱𝗲𝘃𝗲𝗻𝘂 𝘂𝗻 𝗽𝗿𝗶𝘀𝗼𝗻𝗻𝗶𝗲𝗿 𝗽𝗼𝗹𝗶𝘁𝗶𝗾𝘂𝗲 ?
Ce que je pense est que je suis devenu un prisonnier politique depuis près de quatre mois. Prisonnier, parce que je suis privé de liberté de mouvements à l’intérieur comme à l’extérieur du pays depuis le 9 mai 2021 date à laquelle je suis rentré au pays pour répondre à l’appel de la justice sur le dossier Bukangalonzo. Le procureur général près la Cour constitutionnelle a depuis lors instruit les services d’immigration et de sécurité nationale de ne plus m’autoriser à voyager ; et je n’en étais pas informé. Pourquoi doit-on restreindre la liberté de mes mouvements ? Me soupçonne-t-on de vouloir fuir à l’extérieur du pays ? Pourquoi le ferrai-je aujourd’hui alors que j’étais à l’étranger lorsque le premier réquisitoire a été adressé par le procureur général au Parlement pour solliciter l’autorisation des poursuites judiciaires à mon encontre ? Plusieurs personnes m’avaient d’ailleurs conseillé de ne pas retourner au pays craignant principalement la partialité du processus judiciaire me concernant. En dépit des craintes exprimées par de nombreuses personnes, je suis plutôt rentré estimant qu’il vaut mieux revenir pour rétablir la vérité que de laisser le mensonge prévaloir en restant à l’étranger. Et je n’avais pas tort, parce que les sénateurs, après avoir examiné les faits qui m’étaient reprochés et devant l’évidence de la vérité, n’ont pas autorisé les poursuites judiciaires à mon endroit.
Ce que je pense est que je suis devenu un prisonnier politique parce que la limitation de mes mouvements a été décidée de manière arbitraire. En effet, le fait d’être poursuivi par la justice suffit-il pour décider de la restriction de mes mouvements dans le pays et à l’étranger ? Non, parce que n’ayant jamais été condamné, je bénéficie de la présomption d’innocence ; de ce fait, je devrais jouir totalement de ma liberté de circulation telle que garantie par la constitution de la république et le règlement intérieur du sénat, comme c’est le cas dans d’autres pays. On peut se rappeler les cas de plusieurs autorités européennes (anciens présidents, premiers ministres, et ministres) qui, en procès dans leurs pays respectifs, jouissent de la liberté totale de leurs déplacements, même à l’étranger. Par ailleurs, il est étonnant de constater que plusieurs personnes traduites en justice au même moment que moi, que ce soit sur le dossier Bukangalonzo ou celui de la zaïrianisation, bénéficient, elles, de la liberté totale de leurs mouvements. Comment peut-on me refuser de sortir alors que les co-accusés peuvent le faire à volonté ? Suis-je un justiciable spécial ?
Ce que je pense est que je suis devenu un prisonnier politique parce que tout est fait pour m’empêcher de jouir de ma liberté de circulation, et toutes sortes de stratégies sont prises pour le justifier. En effet, au lendemain du rejet du réquisitoire du procureur général sur le dossier Bukangalonzo par la plénière du sénat le 15 juin dernier, j’ai sollicité auprès du sénat l’autorisation de sortie notamment pour de raisons de santé ; cela ne m’a pas été accordé. Et pourtant la requête du procureur ayant été rejetée à la date sus-indiquée, la restriction de mes mouvements devait été levée automatiquement. Par contre, cela a continué jusqu’au 28 juin date à laquelle un nouveau réquisitoire a été adressé au sénat par le même procureur général pour requérir de nouveau l’autorisation de poursuites judiciaires à mon encontre. On comprend alors pourquoi le sénat ne pouvait pas m’autoriser à sortir depuis le 16 juin ! La recherche et le montage grossier des dossiers judiciaires contre un citoyen du reste innocent, peut-il constituer le motif suspensif de ses libertés de circulation dans un pays ! Par ailleurs, le fameux dossier de zaïrianisation devant être classé sans suite depuis le 15 juillet dernier pour défaut de charges à mon encontre, il n’y avait plus de raison de restreindre la liberté de mes mouvements. Qu’a-t-on constaté en réalité ? D’abord, la promesse faite, devant témoin, par le procureur général de clôturer formellement ce dossier n’est pas tenue ; et cela plus d’un mois et demi après ! En outre, et en violation manifeste de prescrits légaux, le dossier de Bukangalonzo a été déterré et remis sur la table pour justifier le maintien de restrictions de mes mouvements à l’intérieur comme à l’extérieur du pays.
Ce que je pense est que je suis effectivement devenu un prisonnier politique parce que même pour de raison de santé, il m’est impossible de quitter le pays. Incroyable ! Comment peut-on imaginer que quelqu’un qui a été empoisonné soit interdit de poursuivre le traitement dans un centre spécialisé de toxicologie (qui n’existe pas au pays) afin de s’assurer que tout le poison a été absorbé ? Et pourtant, j’ai montré toute ma bonne foi, en me rendant personnellement au parquet général, accompagné de mon médecin traitant, pour remettre au procureur général près la cour constitutionnelle l’ensemble de documents attestant la fragilité de mon état de santé et les recommandations pertinentes y relatives du médecin traitant. Ce dernier l’a confirmé au procureur général qui l’a acté dans un procès-verbal dûment contresigné par moi-même. Où est le droit de l’homme et l’état de droit lorsque le procureur général conditionne les droits d’un citoyen de se faire soigner par l’obligation d’être entendu sur un dossier sur lequel le sénat a refusé en plénière d’autoriser les poursuites judiciaires ? Pourquoi les droits fondamentaux de l’homme, peuvent-ils être marchandés ? Où se trouve l’équilibre et le respect de la séparation des pouvoirs lorsque la décision d’une institution comme le sénat, la chambre haute du parlement, est foulée aux pieds par une branche d’une autre institution qu’est la Justice ?
Ce que je pense est que je suis devenu un prisonnier politique qui a le devoir patriotique de rappeler que « la justice élève les nations »,et qu’à ce titre, nous ne pouvons pas chercher à la fois une chose et son contraire. L’histoire du monde sur le développement économique des nations ne renseigne nulle part le cas d’un pays dont le progrès s’est réalisé avec l’injustice. Bien au contraire. Car, la justice crée ou recrée la confiance qui constitue un des facteurs clé de la bonne gouvernance qui, elle-même, conditionne notamment la qualité des institutions. Or comme on le sait, le développement des nations est fonction de la qualité des institutions enclenchée et soutenue par un leadership fort. Les mauvaises institutions, dites « institutions extractives », sont à la basse du sous-développement. Et l’on y trouve généralement une justice insuffisance, parfois à plusieurs vitesses. Celle-ci accroît la méfiance entre les dirigeants politiques et les opérateurs économiques et mine le climat des affaires plombé par des coûts de transactions élevées. Par contre, les bonnes institutions dites « institutions inclusives » constituent la fondation du progrès de toutes les nations développées, y compris des économies émergentes. Car, l’on y trouve un état de droit dont la justice constitue une composante de taille. Une justice équitable à tous les citoyens, indépendamment de leur appartenance politique, rétablit la confiance entre agents économiques et promeut le climat des affaires, lequel facile l’investissement privé, moteur de la croissance économique et créateur de revenus partagés par l’ensemble de la population. Il importe donc de promouvoir réellement l’état de droit et d’éviter de prisonniers politiques, car dans le fond, le développement en dépend inéluctablement.
Kinshasa, le 27 août 2021.